2019 – Sécheresse et étiages de Loire aval

 

Les séries "années sécheresse" et "eaux basses" s'allongent ; un scénario, annoncé de longue date mais qui se répète depuis plusieurs années et semble s'installer durablement.
Le changement climatique induit des événements naturels de plus en plus violents, contrastés, imprévisibles dans la durée ; saisons décalées ou peu marquées, forts coups de vents, tornades et tempêtes, fortes chaleurs et canicules entrecoupées de baisses importantes de températures (Δ +10°C), des précipitations largement déficitaires ou des épisodes orageux diluviens.
"Nous subissons encore les conséquences de la sécheresse 2018 et nous craignons fortement une nouvelle sécheresse" ou bien encore, "chaleur tardive, coup de froid précoce, vagues dépressionnaires ou anticyclone persistant " pouvait-on lire dans la presse, en ce début d'année 2019.
Un printemps-été 2019 qui restera dans les mémoires ; chaud, très chaud le jour, et parfois la nuit, quelques rares précipitations et des cumuls mensuels déficitaires. Des sols desséchés, des végétaux et cultures déshydratés, parfois même brûlés, des eaux souterraines (nappes) à niveaux bas et des assecs de rivières, une Loire réduite à un chenal se cherchant dans un fleuve de sables, des annexes latérales, boires et prairies humides, déconnectées du fleuve, des agriculteurs en difficulté, imposent à tous des restrictions d'usages nécessaires qui tardent et hésitent. Mais ces limitations provisoires d'usages ont-elles été assez fortes au regard de cette situation annoncée qui perdurait ?
Les effets de ce dérèglement climatique dont l'origine anthropique est reconnue vont se multiplier; il faut donc apprendre à faire face à ces situations de crises et mettre tout en oeuvre pour économiser l'eau à l'échelle de nos territoires.

Sécheresse météorologique, des températures en forte hausse

Des températures au-dessus des moyennes saisonnières
De janvier à octobre, la moyenne des températures est de 14°C soit un excédent thermique de +2°C par rapport aux normales (1981-2010) et l'été 2019 se place au 3e rang, après 2013 et 2018, des étés les plus chauds connus depuis 1920.
Dès avril, 25,7°C puis, fin mai, 28,3°C, premier "coup de chaleur". S'en suivent plusieurs répliques, courtes mais exceptionnelles par leur intensité, durant l'été et l'automne. Les jours sont considérés comme chauds lorsque les températures maximales sont supérieures à 25°C ; ils sont d’environ 35 jours par an ces dernières années. En 2019, cette température a souvent été dépassée pour atteindre les 39°C, puis les 40,7 °C le 23/07 (le record de 1947 tombe), 35,8°C en août et 29,8°C en septembre. Au 20 octobre, avec 15,2°C, les températures restent encore un peu plus élevées que la moyenne.
Durant la période 1970-2015 la température a augmenté de +1°C; depuis 2015, avec ces records (températures moyennes de +2°C et nombre de journées chaudes de +14j. à +22 j.) un nouveau palier est franchi; le réchauffement climatique est bien réel et visible, nul ne peut le nier et, sans politique climatique nouvelle, elle augmenterait de +4°C avant la fin du siècle en pays de Loire! (ADEME)

Un manque de pluies efficaces
Si, en 2015, 2016 et 2018 en Anjou, une faible augmentation du cumul annuel de précipitations avait été observée; de janvier à mi-octobre 2019 la pluviométrie est au plus bas avec 432 mm et est déficitaire de 36 %. À l’exception de mars et juin, tous les mois ont connu des cumuls de pluie inférieurs à la normale (cumuls annuels de 680 mm pour la période 1981-2010 et 667 mm pour la période 2001-2017 à Beaucouzé).
De janvier à avril 2019, lors de la période de recharge des eaux superficielles et souterraines, cette pluviométrie fut déficitaire. Pour l'année hydrologique (septembre à août) le cumul des précipitations efficaces (eau disponible pour l’écoulement des rivières et la recharge des nappes phréatiques et alluviales) est compris entre100 et 200 mm sur le bassin de Loire ; parfois bien inférieur à 100 mm en Loire Orléanaise et amont. Dans un régime océanique, les précipitations de fin d'année pourront-elles combler ce déficit de plus de 200 mm?
L’augmentation des températures et les perturbations du cycle de l’eau (succession d’épisodes de sécheresse entrecoupés de pluies orageuses intenses,) ont un impact sur le remplissage des nappes, l'écoulement des eaux superficielles, les écosystèmes naturels et les agroécosystèmes.

Sécheresse hydrologique, des eaux très basses

D'ordinaire, en Pays de la Loire, les étiages s'étendent de juin à octobre inclus ; ces dernières années ils se prolongent en automne, hiver et début de printemps. Ces basses eaux de la Loire, comme nous le pressentions dans notre précédente lettre, s'inscrivent donc dans la durée et rien cependant ne permettait "d’exclure une crue de fin de printemps, voire même d'été, qui serait plus au moins brève".
Se référant au travail réalisé par le GIP-LE, les six derniers mois prouvent que les conséquences hydrologiques de ce changement climatique, amorcé depuis les années 2000, sont bien réelles. Les étiages précoces perdurent sur la Loire et ses affluents et sont peut-être plus sévères en Loire armoricaine qu'en Loire saumuroise qui coule dans le bassin parisien.
Au mois de mars, avec 700m3/s, le débit moyen de la Loire est resté proche du zéro d'étiage de Montjean-sur-Loire pour ensuite diminuer constamment. Cette baisse s’est accélérée début juillet pour atteindre, les 3 et 4 septembre, une valeur voisine de 97 m3/s (hauteur à l'échelle de Montjean-sur-Loire -2,3 m). A la mi-octobre les niveaux d'eau sont toujours très bas -1,95 m pour un débit de 130 m3/s
Ces huit derniers mois, les débits moyens sont toujours restés très inférieurs à ceux de la période d'étude sur 120 années. Des débits de crise inférieurs au DCR*100 ont été relevés plusieurs fois fin juillet, fin août et début septembre avec des valeurs comprises entre 102 et 97 m3/s.

 *DCR : Valeur du débit moyen journalier en dessous de laquelle seuls les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population et les besoins des milieux naturels peuvent être satisfaits.

Comparatif des débits moyens durant la période 1900-2019  

•    Avril 2019 : débit moyen 379 m3/s, le plus faible depuis 1997 (350 m3/s) et proche de 2011 ;  trois fois moins d'eau, que la moyenne des mois de la période qui est proche de 1 150 m3/s
.   Mai 2019 : débit moyen de 373 m3/s, très faible sans atteindre le record de 2011 et 1949; le débit moyen de la période est proche de 900 m3/s. Dans le Top 10.

•     Juin 2019 : débit  moyen 264 m3/s, proche de 2017 mais 16 jours sont à moins de 260 m3/s soit plus de deux fois moins que la moyenne des mois de la période qui est de 600 m3/s Dans le Top 10

•    Juillet 2019 : débit moyen 121 m3/s, le plus sec après 1949 (100 m3/s) et proche de 1976 (112 m3/s) soit plus de trois fois moins que la moyenne des mois de la période qui est de 370 m3/s. 3e du Top 10.

•   Août 2019 : débit moyen de 106 m3/s, très sec et inférieur à 1991; la moyenne des mois de la période est de 255 m3/s. 4e du Top 10.

•   Septembre 2019 : débit moyen de 113 m3/s, comparable à 1990 et le plus sec depuis 1949; plus de deux fois moins que la moyenne des mois de la période qui est 265 m3/s. 5e du Top 10.

Ainsi, les augmentations de températures de l'air, du sol et de l'évapotranspiration du complexe sol-plante contribuent à une baisse importante des nappes phréatiques et des débits. Des études prospectives estiment, en comparaison des débits d'étiage sur 120 ans et l'élévation des températures moyennes de + 2°C sur la période 1970-2015, une baisse de 25 à 50% du débit de la Loire à l'horizon 2100.
Dans ces conditions, comment concilier les différents usages de l'eau sachant que 60% des prélèvements d'eau potable proviennent des eaux superficielles de la Loire ?
Les conséquences déjà observables sont alarmantes, moins d'eau utile pour les nappes et eaux superficielles dont la température augmente (+0,8°C depuis 1970 et +1,4°C en 2030); des assecs répétés qui affectent de plus en plus les écosystèmes aquatiques ligériens avec des effets négatifs (pullulation des algues bleues toxiques, de lentilles d'eau, de plantes invasives-jussie, de corbicules) et la distribution-reproduction de certains poissons... mais parfois positifs pour les grèves longuement exondées (végétation spécifique, nidification de certains oiseaux…).
Face à cette situation de crise et ses conséquences estivales prévisibles, qui a duré plus de sept mois, les actions préventives qui visent à gérer équitablement les demandes de partage de la ressource en eau entre les différents usages ont tardé. Les arrêtés de limitation ou d'interdiction temporaires de certains usages étaient-ils, dans le temps, bien adaptés à ces conditions hydrologiques exceptionnelles? La question se pose. Pour mémoire, La Loire a été classée en Vigilance le 5/07, en Alerte le 11/07 et en Alerte renforcée le 6/09.

Sécheresse agricole, les sols ont soif.

Ce type de sécheresse dépend des températures et des précipitations reçues, de la texture et de la porosité des sols, de leur humidité et de leur capacité de rétention en eau et du pouvoir évapotranspirant des plantes. Elle est donc sensible au climat environnant, à la nature des sols et sous-sol et aux besoins des plantes mises en culture.
Les précipitations d'automne sont nécessaires à la levée des cultures d'hiver. Au-delà des mois de mars-avril, l'eau de pluie reçue est essentiellement absorbée par les cultures de printemps et les plantes en pleine croissance, ou s'évapore à cause de la chaleur et du vent.
Les déficits de précipitations en janvier, février, puis avril, mai et juillet, associés à des températures élevées ont impacté la réserve en eau facilement utilisable (RFU) des sols. L'assèchement s'est accru progressivement de  juin à septembre, l'indice indicateur de sécheresse  des sols, voisin de "autour de la normale", a glissé vers "sol modérément sec", ce qui correspond à un déficit de 10 à 50 % sur la période de référence.
Les cultures  traditionnelles ont souffert de ces vagues de chaleur qui «...ralentit la pousse des fourrages, bloque les regains,augmente les risques d'échaudage des céréales,....» ;  le stress hydrique perturbe les floraisons, les mises à fruits et la maturité de certaines cultures fruitières et semencières, y compris la vigne. Les hausses de températures cumulées peuvent avoir des effets positifs "...améliorent la photosynthèse, la croissance, la quantité de matière sèche et la précocité " dans les conditions optimales d'alimentation hydrique car la reprise de végétation intervenant plus tôt,  la date de récolte est  avancée pour certaines cultures  fourragères, céréales et maraîchères; elles s'affranchissent ainsi des sécheresses estivales.

Quoi qu’il advienne, "...il faut apprendre à faire face aux changements climatiques", par de nouvelles pratiques agricoles et le choix d'espèces cultivées  adaptées aux nouveaux contextes climatiques locaux qui sont amenés à se répéter. Les effets observés depuis 2003, de résistance et de résilience de la végétation à la température, à l'insolation, au manque d'eau des sols, à l'absence d'irrigation, le décalage des saisons humides et sèches, les dates repères des stades de développement des végétaux, la fréquence des épisodes de sécheresse, sont autant "d'indicateurs permettant d'anticiper les problèmes à venir et les dispositions à mettre en œuvre".

Les étés 2018, 2019 sont représentatifs des difficultés  vécues  en agriculture et attendues dans un futur proche pour l'ensemble des usagers de l'eau. Faire face à ces sécheresses répétitives impose une nouvelle gestion (qualitative et quantitative) de l'eau, afin de satisfaire le partage de la ressource entre les usages eau potable, agricoles, énergétiques, industriels, récréatifs et touristiques, restauration-préservation  des milieux naturels et de leur biodiversité.  Attention cependant aux solutions "réservoirs-bassines" qui semblent se développer car, en captant les précipitations excédentaires d'automne et d'hiver, pour satisfaire plus encore les besoins estivaux de l'agriculture ou le refroidissement dans l'industrie, cette pratique perturbe le cycle de l'eau. Elle détourne les eaux libres de ruissellement et d'infiltration qui rechargent les nappes souterraines, les rivières et fleuves source de vie des écosystèmes anthropogènes et naturels.
Les conclusions de l’article publié en novembre 2011 sont, plus que jamais, d'actualité. Il faut que, avec détermination, les pouvoirs publics gèrent une réelle préparation de l'avenir.

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